Vous pensiez avoir tout vu, que le domaine de l'animation se bornait à ressasser encore et toujours les mêmes et invariables recettes, et que les quelques iconoclastes du genre tel Bill Plympton ne vont pas encore assez loin... ? Alors permettez-moi de vous présenter Phil Mulloy. Pour une bio proprement dite, reportez-vous ci-dessus, mais pour une brève analyse critique de son œuvre, c'est
hic et nunc.
A l'introduction du DVD, rien ne laisse présager l'univers passablement dérangé mais hautement séduisant de ce cinéaste britannique singulier. Le style graphique en tout premier lieu, est étonnant. Sec, brutal (le parti-pris du noir et blanc rajoute à l'aridité du graphisme), celui-ci s'apparente au genre expressionniste, avec un aspect résolument torturé.
L'on commence donc comme il se doit par le début du programme, à savoir la série des
Cowboys, avec un premier épisode qui propose une réflexion vis-à-vis de l'appât du gain et des richesses au temps du
far-west, situation guère éloignée de ce que l'on peut constater à l'aube du XXIème siècle... Un démarrage en douceur, puisque dès le deuxième court-métrage (
"That's Nothin'"), le ton 'Phil Mulloy' s'impose véritablement. Un ton irrévérencieux, pervers et transgressif : parties fines et zoophilie caractérisée au programme. Mais cette bestialité sexuelle n'est pas gratuite sous la caméra de Phil Mulloy, qui dénonce et condamne autant qu'il invite le spectateur voyeur malgré lui à se complaire dans une vulgarité délibérément choquante. Le cinéaste n'est pas un saint mais taxer son œuvre de pures élucubrations pornographiques ou de violences gratuites serait erronée, en tous cas éminemment réductrice.
Lynchages, exécutions publiques, humiliations sexuelles, rien ne nous est épargné, mais à chaque fois le message sous-jacent laisse à réfléchir sur la médiocrité humaine et les raisons qui nous poussent à agir de la sorte. Le poids de la morale judéo-chrétienne est notamment très présent, tantôt fustigée et tournée en ridicule, tantôt refuge devant l'horreur sans nom des agissements de l'être humain (du simple onanisme aux fantasmes assouvis). Un malaise accentué par une bande sonore angoissante et entêtante, ce qui au final créé une hypnose totale du spectateur, happé par l'image et l'espace sonore, sans compter l'absurde que le cinéaste manie avec une justesse désarmante. Tous les courts ne sont certes pas tous aussi percutants, mais au final une vraie réflexion s'amorce chez le spectateur.
Que trouver à redire cependant des courts réunis dans la section
More Films, qui à eux seuls méritent l'investissement dans cette édition numérique tant ils cumulent chacun, avec des thèmes très différents, la quintessence du talent de Mulloy, soit tous les paramètres évoqués ci-dessus. Chacun de ces courts mériterait un réel approfondissement que cette critique ne permet pas, mais sachez toutefois que vous serez ému par
The Wind of Changes (éléments
live incrustés), bluffé par l'effet boule de neige de la situation décrite dans
The Chain, plié en quatre par l'inventivité hallucinante de
The Sexlife of a Chair (saviez-vous qu'il suffit d'une pancarte de 10 $ sur une chaise pour que celle-ci soit taxée de prostitution ?), et enfin abasourdi par le violent réquisitoire dressé contre l'être humain dans
The Sound of Music, chef-d'œuvre absolu de noirceur et de lucidité sur l'homme moderne.
L'intelligence du propos rejoint une charte graphique unique, et Phil Mulloy fait partie de ces cinéastes-contestataires qui réveillent les consciences en procédant à une mise en évidence de l'inégalité, de l'hypocrisie et de l'intolérance globale de notre société contemporaine.
> Le court-métrage
Intolérance peut aussi être visionné sur le DVD d'
Anima, Best of 2002, en VOST.