Tel Méliès qui finit sa vie dans le dénuement le plus total -constatation scandaleuse au vu de son talent et de son apport pour l'art cinématographique en général, Ryan Larkin, animateur de génie intégré à l'ONF dans les années 60 par l'immense McLaren, était bel et bien tombé dans l'oubli.
Figure de proue de l’animation canadienne puis mendiant anonyme, Ryan Larkin a réalisé au sein de l’Office National du Film du Canada quelques-unes des œuvres les plus brillantes de sa génération. Or aujourd’hui, Ryan fait la manche en plein centre ville de Montréal. Comment un auteur de sa trempe en est-il arrivé là ? C'est là le nœud du débat soulevé par Chris Landreth dans Ryan, court-métrage poignant, et pour ainsi dire essentiel. Conçu comme un vrai documentaire, avec les règles inhérentes au genre (entretien avec l'intéressé, investigation poussée, témoignages de proches), ce petit film allie avec talent folle audace et nécessaire sobriété. Sur la forme, il y aurait beaucoup à dire, mais le plus intéressant reste cette déconstruction physique de la tête du protagoniste -et des intervenants qui gravitent autour, explicitant de manière graphique le fait que la vie d'un homme est faite d'expériences et de blessures, de réussites et d'échecs, de joies et de souffrances (en l'occurrence l'homosexualité mal vécue de Larkin et le décès brutal d'un frère). Parfaite 3D offrant aux yeux des spectateurs éléments brisés et déstructurés intervenant inopinément en une élégante alchimie, la technique de ce court prône l'ultra-réalisme, ou plutôt le "psychoréalisme", pour reprendre les propres termes du réalisateur. Surtout, en abordant de front les sujets tabous de l'alcoolisme ou de la misère sociale, Landreth fait preuve d'un vrai culot balayant toute notion de politiquement correct, et fait même sortir de ses gonds l'animateur délaissé de tous, atteignant un paroxysme en terme d'émotion pure. Il est juste dommage d'avoir du attendre que Chris Landreth signe cet épatant court à juste titre oscarisé pour sortir de l'oubli un cinéaste proprement génial. Car soyons honnêtes, combien d'entre vous connaissait le nom de Larkin avant la sortie de ce court-métrage ?
Alter Egos, le copieux et génial documentaire (inclus dans ce DVD) qui met en perspective la carrière des deux cinéastes, nous permet d'assister "en direct" à la réaction de Larkin, après visionnage du court-métrage. Une mise en abyme infiniment troublante.

Film récompensé de l'Oscar® du meilleur court-métrage d'animation en 2005.