Au milieu des années 90, alors que le studio Disney a retrouvé l'aura d'antan et traverse un deuxième âge d'or -plus bref qu'espéré, apparaît l'idée de faire une parodie animée de western, genre cinématographique en désuétude depuis plusieurs décennies mais jadis prisé des spectateurs des salles obscures. Est alors échafaudé un récit mettant en scène un veau nommé Bullets, lequel rêve de ressembler aux chevaux qui mènent son troupeau : le projet est alors baptisé Sweating Bullets. Mais au tournant des années 2000, l'un des scénaristes décide de changer d'orientation, en proposant de narrer l'épopée de trois vaches, improvisées chasseuses de primes pour sauver leur ferme. Le projet repart donc de zéro, et la Ferme se Rebelle est enfin mis en route... Hélas, durant le processus d'élaboration de ce 44ème long métrage Disney, de nombreux remous agitent la société, ponctués par le départ en grands fracas de Roy Disney et l'adoption d'une nouvelle ligne éditoriale -ô combien controversée- par Michael Eisner, lequel est bien décidé à faire entrer le studio de plein pied dans le domaine de l'imagerie de synthèse, afin de reprendre la première place qui lui est dû au box-office (le concurrent DreamWorks ayant ravi la première marche du podium et le protégé Pixar ayant fini par faire de l'ombre aux propres studios Disney !). Aussi c'est décidé, la Ferme se Rebelle sera l'ultime long métrage réalisé en animation traditionnelle, et ce faisant les réalisateurs sont priés de terminer au plus vite le projet. Sitôt bouclé, le studio le sort alors en salles dans des conditions exécrables (plus mauvaise période de l'année, classement PG aux Etats-Unis en raison d'une réplique 'déplacée' dans la bande-annonce), afin de passer rapidement à un avenir qui, assure Eisner, sera évidemment meilleur...
Considérant qu'il s'agit donc là du tout dernier long métrage 2D issu de la firme de l'oncle Walt (avec un récit inédit, le studio continuant à exploiter en salles quelques productions 2D telle que Winnie l'Ourson et l'Efélant), la Ferme se Rebelle est forcément décevant, mais pas davantage qu'Atlantide, pourtant censé célébrer en grandes pompes les 100 ans des mêmes studios Disney. Pour tâcher de comprendre la cause d'un tel échec, il faut surtout bien prendre conscience du contexte de production difficile évoqué plus haut, lequel tua rapidement dans l'œuf toute ambition artistique, le studio-même n'ayant en outre, en cours de route, plus vraiment cru au projet. Seuls aux manettes mais étroitement surveillés, de sorte qu'ils n'aient aucune liberté, Will Finn et John Sanford n'ont donc pas pu réaliser le film dont ils rêvaient. Reste une œuvre boursouflée, parsemée de traits d'humour faisant la part belle aux jeux de mots ('bonté bovine !'), de situations vaudevillesques proches de l'absurde et de quelques scènes de bravoure particulièrement efficaces (la séquence du rail), mais avec des codes imposés et un happy end prévisible qui plombent l'ensemble et l'empêchent de véritablement décoller. Par défaut, cette ultime production 'artisanale' assure donc un agréable divertissement, pour peu que l'on ne soit pas trop exigeant. Aucune prétention à révolutionner quoi que ce soit, aucune volonté de désarçonner le spectateur, juste l'envie, en définitive, de plaire à un large public, ainsi qu'est obligé de le reconnaître John Sanford : "Will [Finn] et moi adorons les dessins animés, et considérons leur création comme un art majeur. Dans un bon dessin animé, l'histoire est vitale ; celle de la Ferme se rebelle repose sur des valeurs solides mais n'a pas la prétention de faire passer un message. Le but était clair : faire un dessin animé amusant et distrayant !" Pari réussi : les plus jeunes seront aux anges, les adultes s'amuseront à peu de frais. C'est déjà pas mal, mais quel gâchis.